Innover avec pertinence : Delphine, Roger et le syndrome “on se fait plaisir”

Dans l’univers concurrentiel du B2B, l’innovation est souvent considérée comme un moteur vital de différenciation. Pourtant, nombre d’initiatives R&D finissent au placard. Pourquoi ? Parce qu’elles sont guidées par l’intuition, la technologie ou l’ego — et non par les besoins réels des clients.

“L’innovation n’a de valeur que si elle répond à un Job.”

C’est précisément ce que la méthode Jobs To Be Done (JTBD) permet d’éviter. À travers le cas de Delphine et Roger, dirigeants d’une entreprise tech ambitieuse, nous allons illustrer comment JTBD aide à recentrer l’innovation sur l’essentiel : le progrès que cherche à accomplir le client.

Partie 1 : L’innovation guidée par l’enthousiasme… mais déconnectée du terrain

Delphine est CEO, Roger CTO. Tous deux sont cofondateurs d’une scale-up SaaS qui équipe les services achats de PME industrielles. Ils ont récemment levé des fonds, renforcé leur équipe produit et recruté une nouvelle équipe R&D.

Lors d’un séminaire interne, l’équipe lance un brainstorming libre sur les “futures fonctionnalités qui vont tout changer”. Parmi les idées :

Séduits par la sophistication technologique, Roger et son équipe se lancent sur le projet IA. Trois mois plus tard, une première version est présentée en comité produit. Elle est belle, elle est complexe, mais… elle n’intéresse pas les clients.

Partie 2 : Le syndrome “on se fait plaisir”

Ce scénario est fréquent. On pourrait l’appeler le syndrome du miroir interne :

“Nous pensons que ce serait génial, donc nos clients vont adorer.”

C’est une posture à haut risque, pour plusieurs raisons :

1. Elle part de la solution, pas du besoin,
2. Elle ne vérifie pas la tension actuelle vécue par l’utilisateur,
3. Elle consomme des ressources sans garanties de ROI.

En clair, on se fait plaisir avec de la techno, mais sans se demander si elle répond à un “job” concret que les clients cherchent réellement à accomplir.

Partie 3 : L’intervention de la méthode Jobs To Be Done

Alertée par les signaux faibles du marché (faible adoption de la nouvelle feature, taux de rétention en baisse, feedbacks tièdes), Delphine fait appel à un facilitateur externe pour conduire une série d’entretiens JTBD.

L’objectif : identifier les “jobs” que leurs clients tentent d’accomplir dans leur quotidien professionnel, avec ou sans la solution.

Les entretiens révèlent 3 jobs fondamentaux :

1. Éviter une rupture critique en production liée à un fournisseur
Le job n’est pas “anticiper une rupture” mais “éviter des sanctions internes ou clients”.
2. Prouver à sa direction qu’on négocie les meilleurs prix
Ici, le job est “consolider son statut d’acheteur compétent” — pas juste comparer les tarifs.
3. Ne pas perdre de temps avec des relances multiples
Le job est “réduire la charge mentale opérationnelle”, pas “optimiser les workflows”.

Partie 4 : Le déclic : recentrer la R&D sur les “pains” vécus

Grâce aux entretiens JTBD, l’équipe comprend qu’une IA prédictive, aussi impressionnante soit-elle, n’est perçue comme utile que si elle est directement liée à un risque imminent. Autrement dit, ce que les acheteurs veulent, c’est une alerte simple, compréhensible, actionnable.

Le “moment déclencheur” du job n’est pas une rupture logistique mondiale, mais :

Delphine et Roger arrêtent le projet “assistant IA prédictif” en l’état, et pivotent vers une fonctionnalité d’alerte personnalisée en cas d’anomalies sur les fournisseurs critiques.

Résultat : le taux d’adoption de cette nouvelle fonctionnalité dépasse 50 % en 2 mois.

Partie 5 : Pourquoi JTBD fonctionne là où les specs techniques échouent

La force de JTBD, c’est son alignement sur la réalité vécue, pas sur les projections internes.
Elle repose sur quelques principes fondamentaux :

1. Un job est stable dans le temps

Les outils changent, les technologies évoluent, mais les “jobs” restent.
Exemple : “Gagner du temps”, “briller face à ses pairs”, “éviter une erreur coûteuse”.

2. Le job se déclenche dans un contexte

Sans moment de tension (urgence, frustration, incertitude), il n’y a pas d’action.
C’est en identifiant ces moments que l’on conçoit des solutions vraiment utiles.

3. Le job est émotionnel et fonctionnel

Trop souvent, l’innovation reste sur un plan rationnel. JTBD permet de capturer aussi la dimension affective (peur de l’échec, besoin de reconnaissance…).

Partie 6 : Bonnes pratiques pour vos futures innovations

Si vous êtes à la tête d’un produit ou d’une entreprise tech, voici quelques conseils concrets pour éviter le “syndrome on se fait plaisir” :

1. Menez 10 entretiens JTBD avant tout nouveau projet R&D

Pas besoin de centaines de données. Dix bonnes conversations bien conduites suffisent pour révéler les patterns.

2. Mappez les “moments de bascule” qui déclenchent un usage

Quand, pourquoi, dans quelle situation votre solution est-elle activée (ou non) ? Cela vous dira où innover.

3. Interdisez-vous de formuler une solution avant d’avoir défini un job

Inverser cette logique est la première cause de produits inutiles.

4. Formalisez vos jobs sous forme de canevas clairs

Par exemple :

“Quand je [situation], je veux [résultat], afin de [bénéfice émotionnel et fonctionnel].”

Partie 7 : Ce que Delphine et Roger retiennent

En rétrospective, Delphine résume leur apprentissage par une formule simple :

“On n’innovera plus jamais sans parler aux clients d’abord.”

Loin de freiner leur créativité, le JTBD a recentré leurs efforts sur des innovations qui :

Et surtout : cela leur a redonné confiance dans leur capacité à bâtir des solutions utiles, pas juste séduisantes.

Conclusion : Innover, oui — mais pour résoudre un job non résolu

“L’innovation n’a de valeur que si elle répond à un Job.”
Ce mantra devrait être inscrit au fronton de toute équipe produit. Trop de projets échouent faute d’avoir creusé ce que les clients essaient vraiment de faire.

Le cas de Delphine et Roger montre que la méthode Jobs To Be Done n’est pas une simple démarche qualitative, mais un outil stratégique de gouvernance de l’innovation.

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